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Coups de marteau sur les instruments

22 Apr 2016

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Depuis quelques années, les enchères de biens de stars battent tous les records. Des rendez-vous qui attirent les fans, mais aussi les investisseurs.

Le jour où Ringo Starr a fait le ménage chez lui, il a rapporté un petit pactole à son banquier par la même occasion. Son exemplaire du White Album des Beatles portant le numéro 0000001 est parti pour 790 000 dollars (723 000 euros, il était estimé à 60 000 dollars) lors d’une vente aux enchères le 5 décembre en Californie. Le précédent record du genre revenait à un vinyle d’Elvis vendu à 310 000 dollars. Le batteur des Beatles n’a pas eu de peine non plus à se séparer des cadeaux des copains, comme cette guitare Rickenbacker offerte par John Lennon, vendue 910 000 dollars.

«Nous avons eu une bonne année 2015, et nous nous préparons à des records de ventes encore plus importants en 2016», clame Darren Julien, fondateur et président de Julien’s Auctions, l’organisateur du vide-greniers de luxe du batteur des Beatles en décembre. A Los Angeles, cette maison de vente aux enchères «niche» depuis 2003 s’est fait une belle place au soleil. C’est elle qui a battu tous les records de marteau l’an dernier. Le 7 novembre, une guitare J-160E Acoustic de John Lennon, que l’on croyait perdue, partait pour 2,41 millions de dollars – la plus chère au monde. Le chanteur l’avait achetée avec George Harrison à Liverpool en 1962 pour 161 livres (environ 2 000 euros en prenant en compte l’inflation) ! A la même vente, la batterie siglée de la première apparition télé des Beatles aux Etats-Unis, au Ed Sullivan Show en 1964 – qui apparaît sur la pochette de différents albums du groupe -, est partie à 2,125 millions de dollars. Une autre batterie de Ringo Starr, sa Ludwig Oyster Black Pearl de 1963, a été vendue à un prix tout aussi record : 2,2 millions de dollars. Certes, elle a servi à enregistrer des morceaux cultes comme Can’t Buy Me Love ou I Wanna Be Your Man. L’acheteur ? Le propriétaire de l’équipe de foot américain des Colts d’Indianapolis, Jim Irsay – qui a également craqué ce jour-là pour la Rickenbacker de Lennon.

A Los Angeles, Darren Julien a eu l’idée de se servir de la matière première locale, les stars, pour créer un nouveau business, dans une ville qui, contrairement à Londres ou New York, n’a jamais été un centre de ventes important. «Le marché a changé, explique-t-il. Il y a de plus en plus de maisons d’enchères spécialisées dans des domaines particuliers, nous, c’est l’entertainment. Pour un Monet, on va chez Sotheby’s ou Christie’s, mais pas pour la pop culture.» Si la maison Artcurial a ouvert la voie en France, osant sortir des sentiers battus de l’art, transformant ses ventes automobile ou gastronomie en spectacle, ce n’est qu’en novembre 2013 qu’elle a proposé l’enchère «Rock’n’roll». Chez Sotheby’s et Christie’s, les ventes liées à cet univers sont très occasionnelles. Darren Julien a eu du nez en choisissant le créneau des stars : il a déjà écoulé du Cher, du Michael Jackson (son premier gros client), du U2, du Barbra Streisand, du Les Paul, du Jimi Hendrix, du Madonna et du Lady Gaga au prix fort. «J’ai l’air plus intelligent que je ne le suis réellement d’avoir choisi ce créneau. Pour moi, c’était juste une passion», commente l’entrepreneur.

«De l’ADN de scène»

Ces instruments de musique font désormais partie d’une tendance plus globale, les memorabilia, traduisez : tout ce qui a été touché ou a appartenu à des stars. On y trouve toutes sortes d’objets… L’an dernier, s’est vendu un tour bus d’Elvis pour 263 000 dollars, ou encore le cardigan en mohair vert porté par Kurt Cobain sur l’Unplugged de Nirvana (140 800 dollars). Ringo Starr s’est aussi débarrassé d’un panneau en bois portant l’inscription «Sgt. Peppers Lonely Hearts Club Band» autrefois accolé à la roulotte que John Lennon avait offerte à son fils Julian pour près de 125 000 dollars. Mieux que les cadeaux indésirables refourgués en janvier sur eBay…

Même si les prix sont beaucoup moins impressionnants dans l’Hexagone, pour Christophe Fumeux, expert chez le commissaire-priseur Coutau-Bégarie, ce sont les stars qui font la loi. Chaque année depuis 2014, cette maison parisienne créée en 1691 organise une vente «chanson française». « On suit ce que font les études aux Etats-Unis, et on s’en inspire aussi. Les collectionneurs recherchent essentiellement de l’ADN de scène au travers de tenues, de manuscrits et d’objets emblématiques. Tout cela fonctionne extrêmement bien avec des prix hallucinants : compter 26 000 euros pour une tenue de Cloclo, jusqu’à 10 000 euros pour une tenue de Johnny. C’est une tendance récente, de plus en plus marquée. On les appelle les “collectionneurs d’ADN”. Et, sur ce terrain, les gens sont sans limites, même si peu d’artistes français sont réellement collectionnés : Gainsbourg, Cloclo, Johnny, Farmer, Piaf, Dalida, Vartan… au maximum une douzaine. » Cyrille Coiffet, DG France de Catawiki, une maison d’enchères en ligne lancée en 2008, a également son idée sur la raison de ce succès grandissant : «Pour moi, le marché des instruments de musique est actuellement en croissance sur le Web. Deux raisons pour cet engouement : la nostalgie du son acoustique et le fait que l’instrument de musique soit de plus en plus considéré comme un objet de collection. » Nous y voilà. La nostalgie, camarade… particulièrement pour la nouvelle génération. On a bien vu Alex Kapranos de Franz Ferdinand lever la main durant une vente de la collection de piano de James Cameron (le directeur de The Edinburgh Piano Company, pas le réalisateur) le 11 février dernier en Ecosse.

«Investissements sérieux»

L’arrivée du numérique dans l’univers des maisons de ventes est elle aussi une des raisons du boom des instruments. «Aujourd’hui, les acheteurs sont bien mieux informés, en partie grâce à Internet. Ils sont pointilleux sur les conditions des objets et l’authenticité, et il en résulte sur les pièces rares des prix qui flambent», avoue Tim Ingles, un ancien de chez Sotheby’s qui a monté il y a quatre ans sa propre maison à Londres, Ingles & Hayday, spécialisée en instruments classiques. Pour leur vente de printemps, ils ont explosé un nouveau record : 3,2 millions de livres au total (3,9 millions d’euros) dont 960 000 livres pour un violon du luthier français Jean-Baptiste Vuillaume. Ce qui auparavant pouvait sembler inaccessible dans un monde codifié est désormais au su et au vu de tous sur la Toile. Pour Darren Julien, ces prix explosifs s’expliquent par l’arrivée de nouveaux acteurs : «Les musées aussi commencent à s’y intéresser. Pas sûr qu’un nouveau tableau fasse l’événement, mais la guitare de John Lennon, elle, va faire venir du monde. La pop culture a un nouvel attrait pour les musées, ce sont les nouveaux beaux-arts en quelque sorte. Les ventes comme les nôtres ne marchent pas bien en Europe : la clientèle est russe, asiatique, américaine. Même si ça change vite. C’est aussi devenu un jeu pour les investisseurs. Aujourd’hui, on voit arriver des fonds spéculatifs comme nouveaux clients. C’est pour eux une façon de diversifier leur portefeuille. En fait, ces objets sont désormais considérés comme des investissements sérieux depuis quatre-cinq ans.» Rendez-vous donc avec les loups de Wall Street pour la prochaine vente «Music Icons» qui se tiendra à New York, le 21 mai avec 400 lots de stars, dont le piano d’enfance de Lady Gaga, estimé entre 100 00 et 200 000 dollars.

«Musée pour touristes»

Derrière cette forme de consommation de la célébrité, il y a des pans d’histoire, des vies entières spéculées sous le marteau… Joe Corré, le fils de Malcolm McLaren et de Vivienne Westwood, l’a vivement revendiqué il y a quelques semaines, se demandant s’il ne devait pas «brûler» la collection – estimée à 6 millions d’euros – de souvenirs et d’objets punk de son père, manager des Sex Pistols. La raison ? La reine mère a officiellement donné sa bénédiction à «2016, l’année du punk» en Angleterre à l’occasion des 40 ans du morceau Anarchy in the UK qui sera célébré le 26 novembre. «C’est le truc le plus flippant que j’ai jamais entendu», a-t-il commenté, refusant que ce patrimoine ne se retrouve dans un «musée pour touristes». Vrai fils de punk ou promo pour une vente aux enchères à venir ? Réponse dans quelques mois…

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